N°144
Mars 2004

Libérateurs archivés

Le LIbérateur journal de la Croix Bleue

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Editorial 

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Alors que j'écris ces lignes, le monde est de nouveau bouleversé par des attentats lâches et aveugles à Madrid.
Dans la capitale espagnole, l'extrémisme nationaliste ou religieux a, en quelques minutes et par un massacre
minutieusement préparé, endeuillé des centaines de familles.
Qu'est-ce que tout un peuple peut faire si ce n'est montrer son union contre tous les fanatismes et
les compromissions politico-économiques ?

Dans un tout autre domaine, l'exaspération que je veux partager avec vous concerne le dépeçage des derniers lambeaux
de la loi Evin par les politiciens en campagne électorale.... En laissant dire sans réagir que le vin, ce n'est pas de l'alcool,
ces hauts responsables, en charge de notre politique de santé font décidément tout pour banaliser leur compromission
avec les acteurs-marchands de la morbidité alcoolique. Ah la pêche aux voix ! Dont acte, je m'en tiendrai là pour aujourd'hui.  

Alors j'ai cherché dans ce Libérateur consacré à la jeunesse des phrases, des idées susceptibles de redonner un sourire,
une lueur d'espérance un peu vacillante,… Et j'ai trouvé.

J'ai trouvé des récits pour la plupart écrits par des amis jeunes, de moins de 25 ans, dont les mots recèlent une extraordinaire
lucidité sur leur vécu associée à une volonté de donner un sens et un contenu à l'espoir qu'ils viennent de retrouver. 

Leurs histoires sont différentes et relatées comme des arrêts sur image dans le film d'un morceau de vie.
Leur point commun : ils ou elles sont ou étaient jeunes, ce qui nous vaut une belle franchise de ton exempt de toute langue de bois. 

Apprentissage d'une vie sans alcool, réflexions autour du plaisir attaché à la consommation, l'abstinence: vingt ans après…,
qu'en reste-t-il ?  Et puis cet autre bouquet de fraîcheur :
oui, il y a encore chez les jeunes des choix d'abstinence conduisant à des projets militants. 

C'est vrai que pour eux, les expériences de vie ne s'inscrivent plus uniquement dans des choix inspirés par Che Guevara,
la guerre au Vietnam ou en Algérie. Les organisations humanitaires comme Médecins du Monde, Amnistie internationale,
les Restos du coeur et... la Croix Bleue ont dépolitisé en partie les idéaux.
C'est tant mieux. et c'est certainement aussi cela, avoir 20 ans en 2004. 

C'est vrai aussi que la consommation d'alcool chez les jeunes, parce que psychologiquement et physiquement
plus vulnérables, entraîne rapidement des comportements de violence menant vers l'exclusion, à des accidents tragiques le week-end,
puis à la dépendance avec ses conséquences morbides.  

Expériences de la vie menant vers le statut d'adulte avec ses rituels, fuite précoce du quotidien incertain,
recherche du dépassement de soi, mise à l'épreuve de ses propres limites...
Peut-être, mais il n'en reste pas moins vrai que depuis toujours, les adultes, ces anciens jeunes,
s'inquiètent de la consommation d'alcool chez les adolescents.  

Nous sommes, dans la Croix Bleue, souvent, confrontés à ce problème et disons-le clairement,
les réponses apportées à ces types d'alcoolisations, voire déjà à des dépendances,
ne répondent pas ou plus toujours, aux attentes formulées ou silencieuses... 

Plus que jamais, face à ces adolescents, nous avons besoin de mettre en pratique ce que nous théorisons si bien,
mais aussi ce qu'au fond de nous, nous avons peut être nous-mêmes vécu, mais qui en aucun cas ne peut être leur  référence,
car les ans ont passé. Leur souffrance est à nulle autre pareille, ils nous disent que nous ne pouvons pas les comprendre,
que quand nous étions "jeunes" la vie n'était pas celle d'aujourd'hui, que nous sommes dépassés, que nous aurions dû changer le monde,
en fait tout ce que nous avons nous-mêmes jugé insupportable à leur âge...
Pour nouer une relation de confiance, écoutons-les, ne les jugeons pas, donnons-leur du temps, respectons-les, essayons de les comprendre.
Oui, leur vécu est unique comme l'était le nôtre à leur âge. 

Comment envisager une abstinence définitive comme condition indispensable pour sortir de la dépendance ?
 La vie est devant eux, comme la nôtre l'était et l'est encore, elle connaîtra des joies, des peines, des bonheurs,
des malheurs, elle sera parfois insupportable, révoltante, et puis l'amour et l'amitié entre autres rendront
peut-être possible tout ce qui ne l'est pas aujourd'hui…

Heureux printemps à toutes et à tous.

Bernard Leday
Président

 

Avoir 20 ans en 2004

                 Ils sont de plus en plus nombreux ces jeunes, âgés d’à peine vingt ans, demandant à être admis pour un séjour en postcure.
Certains s’alcoolisent depuis l’âge de douze ans. D’autres ont commencé avec des drogues « douces » tel le shit pour passer à la cocaïne,
parfois à l’héroïne et depuis deux ou trois ans à l’alcool.

Ces jeunes dépendants peuvent-ils bénéficier d’un accompagnement identique à celui d’un adulte de  quarante ou cinquante ans ?
Peut-on utiliser à leur égard la même démarche ou tenir le même discours ? Faut-il constituer des groupes d’âge ?  

                  Quelles que soient les raisons pour lesquelles il y a eu prise de produit, nous constatons que l’action du toxique
est intervenue à un moment où la croissance physique n’est pas terminée, où le développement intellectuel est en plein essor
et où la maturité affective n’a pas atteint son terme. C’est donc toute la personnalité qui subit les effets toxiques des produits
absorbés soit par modification soit par retard. Il sera donc plus juste de parler de construction de la personne alors que nous
avons à faire à une re-construction dans le cas d’un alcoolisme plus tardif puisqu’il y a eu un état antérieur accompli et plus satisfaisant. 

                   Pour les accompagnants, ceci signifie qu’ils seront amenés à faire vivre au jeune les moments qu’il n’a pas connus et dont il
n’a pu bénéficier, tout particulièrement la démarche affective indispensable à l’avènement du sujet adulte.
Autrement dit ce que ce jeune n’a pas eu l’occasion de vivre entre père et mère de par les effets de l’alcool qui sont venus brouiller les cartes,
il devra l’expérimenter entre des hommes et des femmes qui se prêteront - avec toute la compétence requise - à ce rôle.
Nous sommes là dans une phase d’éducation et pas encore dans celle d’une re-éducation ou d’une adaptation à l’abstinence comme
c’est le cas pour des adultes venus à la dépendance beaucoup plus tard.  

                     Cette dernière phase ne sera d’ailleurs peut-être jamais utile. En effet, si l’éducation réussit à construire la personnalité
et à la structurer, elle délogera du coup la dépendance encore mal installée parce que trop récente. Ceci signifie qu’en terme de démarche,
l’abstinence sera nécessaire dans un premier temps pendant trois, quatre ou cinq ans afin que soit rendu possible l’avènement de la personnalité,
mais il serait imprudent de parler d’emblée d’une abstinence définitive ne serait-ce que parce que le rapport au temps est différent selon l’âge :
plus le sujet est jeune et plus le temps devant lui paraît ne jamais se terminer ! Ce peut être angoissant.  

                       Par ailleurs, l’adolescence est un temps ou tout sujet cherche les limites du possible et du dangereux, c’est le temps du risque.
L’alcoolisation vient alors pour répondre à ce besoin, comme une provocation. Il n’est donc pas certain qu’elle puisse être assimilée d’emblée à
une dépendance nécessitant une abstinence totale à vie.  

                      Toutefois, il est important d’annoncer dans toute démarche, qu’elle soit thérapeutique ou éducative, qu’il n’est pas nécessaire
d être dépendant  pour faire le choix d’une vie sans alcool. Je peux faire ce choix même si je ne suis pas menacé par une prise raisonnable d’alcool.
Mais attention ! C’est un choix politique puisque je vois arriver tous les producteurs d’alcool m’accusant de dévoyer une jeunesse qui pourrait ainsi
faire le choix de ne pas en prendre.
Serge Soulie
Psychologue
Directeur de centre

 

Merci d'exister

Ce fut difficile, ça l’est encore mais, enfin, je commence à me reconstruire ou plutôt à me construire.

Quand je dis « me construire à 23 ans », la raison est que je n’ai jamais pu profiter de mon adolescence comme toutes les jeunes filles le font :
s’amuser sans se soucier, profiter, apprendre et découvrir le fil de la vie si précieuse.
Propulsée dans la vie active à 15 ans et dans la vie de couple au même âge, ce qui n’est pas une mince affaire (mais j’avais choisi),
mon premier verre d’alcool, je l’avais bu en boite de nuit à 14 ans.  
Déjà à ce moment-là je n’avais pas vraiment de limites et tout s’est enchaîné très vite : trois, quatre verres et plus,
beaucoup de soirs par semaine, et s’en sont suivis les problèmes de couple. Nous avions une très grande différence d’âge.
Et puis la séparation à 17 ans… J’ai dû assumer ma vie seule et la bouteille déjà présente tous les soirs sur la table.
Je buvais jusqu’à m’endormir pour repartir travailler le lendemain. Malgré l’alcool, je peux dire que j’ai eu de la chance.
J’ai quand même réussi à travailler cinq années sans interruption mais cela n’a pas empêché ma chute. 

D’années en années les soucis s’accumulaient, comme beaucoup d’entre nous l’ont vécus.
LA SOLITUDE, sauf bien sûr les « compagnons de boissons » dans les bars le soir. Puis les soucis d’argent, la pression du travail,
le manque de présence familiale et amicale, bref une structure pas toujours présente à l’âge de 18, 19, 20 ans et plus. Ca fait mal.
Plus les jours, les semaines et les mois passaient, plus je buvais. Puis de nouveau la vie de couple s’installa. Pas de chance, un buveur !
Tous les soirs : disputes, violences verbales plutôt que physiques et boulot. Le lendemain il fallait assurer, et quelque part
j’étais toujours seule, même accompagnée. Ma famille était loin et je n’avais pas d’amis sur qui me reposer.
Vint la séparation inévitable. De nouveau complètement seule dans mon minuscule appartement parisien.
Là, je buvais encore plus, seule ou dans les bars où j’y ai fait de mauvaises rencontres qui m’ont entraînées sur des pentes
plus que sinueuses sans que je ne puisse rien faire. Prisonnière, paradoxalement j’évoluais dans mon travail,
mais la dépression commença à m’envahir lentement vers 21, 22 ans… 

Printemps 2002, je commençais à ne plus pouvoir passer la porte de chez moi, soit parce que j’avais trop bu, soit parce
que je voulais encore boire. Je voulais m’enterrer. Le poids de mes soucis était trop lourd. Plus de coups de téléphone,
plus d’huissiers, plus de pression de la part de mon travail, je n’en pouvais plus, LE NOIR, le néant total :
je ne voulais plus penser à rien tellement ça allait mal. Même quand je réussissais à retourner au travail après d’innombrables
arrêts maladies, il fallait que je boive le midi, dès que je pouvais ; et une seule pensée me hantait l’esprit toute la journée :
le moment où j’allais pouvoir enfin rentrer prendre un verre, deux et beaucoup plus…
Je commençais à me rendre compte que ma famille savait. Mais elle ne savait pas à quel point c’était. Alors j’essayais de l’occulter
tant bien que mal tellement cela me paraissait impossible de faire autrement, de m’en sortir…
En septembre 2002, je perdis mon emploi car je ne pouvais plus y aller et n’osais même pas donner de nouvelles.
Je me sentais terriblement coupable, et là à 22 ans j’ai connu le chômage. De toute façon, je n’étais plus capable d’assurer un travail.
Je buvais du matin au soir sans interruption : delirium, dépression, désespoir, dépendance. Je venais récemment de déménager
et je me sentais rejetée par le peu de personnes que je connaissais. Je ne sortais même plus pour poster une lettre : INSURMONTABLE !
Un peu plus d’un litre de whisky y passait tous les jours.

Au mois de juin 2003, j’ai pris rendez-vous au service d’alcoologie de l’hôpital mais l’entretien m’a découragée et les délais des
rendez-vous étaient de un mois et demi. Deux semaines plus tard, je fus hospitalisée d’urgence ; diagnostic : pancréatite aiguë nécrosée.
J’avais 22 ans, le personnel soignant paraissait étonné… Ce fut le calvaire, l’horreur pendant douze jours, sous morphine,
pas de nourriture pendant dix jours, ni une seule goutte d’eau. Mon corps n’acceptait plus rien : sevrage forcé. Je ne m’y attendais pas.

C’est à l’hôpital que j’ai rencontré la présidente de la Croix Bleue de ma ville. Depuis je n’ai jamais rebu une seule goutte d’alcool.
En sortant, je me suis rendue à la réunion Croix Bleue du vendredi puis tous les vendredis, et encore maintenant. C’est là que j’ai trouvé
L’ESPOIR et tout ce qui m’avait toujours manqué : une deuxième famille, des amis, du soutien, de l’aide et de la compréhension.
Cette lumière me guidera toujours.

J’ai enfin pris les choses en main, réglé les soucis financiers qui traînaient depuis des années, mes problèmes de santé.
J’ai enfin pu m’occuper de moi et ainsi retrouver une stabilité, avoir une hygiène de vie, faire du sport, réapprendre à vivre sans alcool.
Bien sûr à ce moment-là, d’autres questions ont commencé à m’envahir l’esprit. Comment retrouver un compagnon comprenant
et assumant la situation que j’ai vécue ? Comment ressortir entre amis dans des endroits où l’alcool est très présent tels que les cafés,
les boîtes de nuit ? A 23 ans, il est difficile de s’abstenir de sortir. Mais je me suis rendue compte qu’au fur et à mesure que le temps passait,
les doutes s’effacent et les choses se font naturellement, non sans peur au début mais on y arrive. Et quelle satisfaction de se rendre
compte que l’on peut autant s‘amuser sans alcool si ce n’est plus sans lui ! Tout ceci est un combat de chaque jour mais je sais que
la Croix Bleue est là et je sais également qu’une abstinence TOTALE ET DEFINITIVE est obligatoire. 

Depuis, je suis en pleine forme. J’ai retrouvé ma famille, une activité à plein temps et des amis qui me comprennent très bien,
même hors du cadre de la Croix Bleue. Je suis enfin heureuse et je commence à m’épanouir petit à petit. 

Je vais avoir six mois d’abstinence au mois de janvier et je le dois en partie à la Croix Bleue qui a toujours été là pour moi
et que je remercie infiniment d’exister. Maintenant, je sais que cela est POSSIBLE.
Delphine