Le LIbérateur journal de la Croix Bleue

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N°126 Décembre 1999

Editorial

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Nous devrons bien nous rendre à la raison scientifique : le nouveau millénaire n'est pas pour la fin de l'année mais pour celle de l'an prochain, Tout au plus aurons-nous la surprise amusée, teintée d'un zeste d'émotion et d'un doigt de nostalgie, de passer des années mille neuf cent aux années deux mille.
Nous aurons aussi le réflexe, bien naturel quand nous passons un cap dans le temps, de dérouler le film de notre vécu personnel ainsi que celui que notre champ de conscience a pu percevoir de notre environnement.
Alors nous nous dirons qu'au-delà de nos espérances, pour que chacun soit touché par davantage de bien-être, de justice et d'amour, nul n'empêchera la vie, qui n'est décidément pas un long fleuve tranquille, de continuer avec ce qu'elle nous apporte de joies, de peines, de révoltes, de remises en cause liées à l'évolution de tout ce qui nous touche, enfin de ce qui constitue le quotidien de nos existences selon les contenus et projets que nous leur avons donnés.
Parce que nous pensons que cet état d'esprit est aussi celui de notre Association, l'équipe de rédaction a jugé opportun que les pages de ce dernier numéro de l'année en soient imprégnées.
La Croix Bleue, c'est une histoire de femmes et d'hommes dans la détresse et la souffrance parce qu'ils ont ' découvert, sans forcément le rechercher, un produit présent dans notre culture depuis la nuit des temps : l'alcool,
-parce que l'homme a appris à le rendre attrayant et presque incontournable dans notre société,
-parce qu'il a et qu'il aura longtemps encore une casquette de "drogue légale" qui favorise sa consommation et conduit l'État, en même temps collecteur de taxes, soucieux de la balance commerciale et... garant de la santé publique, à une politique d'arbitrage face à des intérêts contradictoires,
-parce que le chômage perdure, que les inégalités se creusent, nous continuerons de tendre la main et d'accompagner des piégés de l'alcool ; mais nous aurons à partager des situations personnelles de plus en plus difficiles comme celle de micheline Moreau dont le témoignage bouleversant est publié plus loin.
L'amour et l'espérance resteront bien évidemment les fondements de nos certitudes. Pierre Salingue nous en parle par ailleurs et Pierre Kneubühler nous dit pourquoi et comment nous pourrons éloigner la peur de nos vécus.
Ainsi, demain et bien au-delà, la vie continuera pour la Croix Bleue et elle continuera aussi de compter sur ses Membres afin de prévenir le risque alcool et accompagner les personnes en difficulté pour lesquelles j'ai, en cette période de fête, une pensée fraternelle emprunte d'espoirs pour des jours meilleurs.
La vie continue.
Bonnes fêtes de Noël à toutes et tous. Bonne et heureuse année 2000.

Bernard LEDAY


Témoignage
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L’alcool entre nous

Ma vie, durant ma période alcoolique, peut être scindée en deux parties.
La première, plutôt bonne, même très agréable, qui s’est étalée sur quinze ou vingt années. J’aimais les bons vins, certains alcools forts et nombre d’apéritifs . Mais, je n’en faisais pas une consommation régulière. Je n’étais pas dépendante mais fin prête pour le devenir.
La deuxième, celle de la dépendance, est venue en peu de temps : peut-être deux ou trois ans. Je m’en suis rendue compte en ne pouvant plus me passer d’alcool quel que soit le moment de la journée. Un effort physique ou cérébral, un coup de cafard, un manque de courage ou même par ennui : je m’appuyais sur le «remède alcool» pour faire face.
Plus je me rendais la vie difficile, plus je buvais. Avec les ennuis en tout genre et les catastrophes qui l’accompagnaient, elle devenait, pour moi et naturellement pour mon entourage, impossible.
J’ai tenté de mettre fin à mes jours. Mais même çà, je l’ai loupé.
Sans alcool, je n’étais plus bonne à rien. Je me méprisais, me dégoûtais, et lorsqu’il m’arrivait de vomir, c’est sur moi que je vomissais et non à cause de l’alcool.
J’ai vivoté dans ce cloaque durant pas mal d’années. Il y a bien eu de courtes périodes de rémission mais je replongeais de plus en plus souvent. Ma santé se dégradait d’une façon catastrophique. Médecins et chirurgiens me mettaient en garde. L’un m’a dit : «Votre vie est entre vos mains». Je le savais, mais quoi faire ? Arrêter de boire ! Mais comment ?
Je ne voulais pas mourir ; je pensais à tous ces décès des années précédentes dans nos familles ; avec moi, un de plus? Non, je ne voulais pas mourir.
Il fallait impérativement que j’arrête.
Je devais agir, faire un geste, un pas. Comme chaque jour, j’ai ouvert le journal et mes yeux se sont arrêtés sur un entrefilet annonçant le thème et la date d’une prochaine réunion Croix Bleue et, surtout, donnant de précieux numéros de téléphone que je me suis empressée de noter en grand pour ne pas les oublier… ou changer d’avis.
Durant plusieurs jours, entre deux verres, j’ai réfléchi. Je sentais qu’en téléphonant, j’allais entreprendre quelque chose que je n’avais pas réussi à faire jusqu’à présent : je savais que j’allais arrêter de boire. Comment ? Ca… J’ai décroché le téléphone. Il était cinq heures du matin. C’est René, de la Croix Bleue, qui m’a répondu. Je ne sais plus ce qu’il m’a dit mais j’ai écouté et certainement beaucoup parlé. Cela ne l’a pas découragé car lui et Chantal sont venus me voir dès le lendemain et revenus plusieurs fois.
Et, un matin, je me suis décidée pour une hospitalisation. A partir de ce jour-là, je n’ai plus pris une goutte d’alcool. mes nouveaux amis me rendaient visite tous les jours et nous discutions, discutions… Ils me remontaient le moral car je n’avais plus un seul soutien extérieur. Je m’étais fait « jeter » de partout. Même mon mari, lors de ses visites, ne restait que cinq minutes. Il n’y avait plus rien entre nous.
J’ai voulu faire une postcure à la Presqu’île. Ne plus boire, c’est facile à dire ! Etre constante dans l’abstinence : je n’y arrivais pas. Je savais qu’en postcure, j’aurais une aide psychologique, que j’allais apprendre à vivre et à penser autrement. C’est ce que j’ai connu après ce séjour de trois mois : une naissance.
J’ai voulu devenir Membre Actif de la Croix Bleue. Je l’ai voulu pour partager mon vécu avec d’autres personnes piégées par l’alcool. J’ai trop souffert et fait souffrir pour passer cela sous silence. Dire à ces personnes qu’elles ne sont plus seules, que je veux les aider, que je peux les comprendre, partager leurs souffrances, les écouter ; leur dire que la vie est belle et qu’elle le deviendra pour elles aussi ; leur apprendre à regarder devant elles, sans l’usage d’un artifice.
Par l’image que je renvoie aujourd’hui, je peux leur servir de miroir.

Marie-Fance

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