N°143
Décembre 2003
 
Libérateurs archivés

Le LIbérateur journal de la Croix Bleue

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Editorial 

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Le bonheur en cette fin d'année, on peut le voir dans les yeux des enfants émerveillés devant les vitrines et les illuminations,
les faisant rêver à des cadeaux.
Le rêve, l'attente, l'espérance  ce sont là des moments de bonheur pour tous.
Même si ils ne se réalisent pas toujours.
L'approche de Noël, c'est le temps pour les chrétiens de célébrer la Nativité,
symbole d'espérance et de bonheur pour tous les hommes et les femmes qui veulent croire et  partager un avenir meilleur
Le philosophe Alain a écrit : " Si on cherche le bonheur, on est condamné à ne pas le trouver, mais lorsque le bonheur pourrait être dans l'avenir,
 c'est qu'on l'a déjà. Espérer, c'est être heureux
". Le bonheur ce n'est pas un état permanent,
c'est une quête constante pour chacun d'essayer de devenir meilleur, de donner aux autres des moments de bonheur et parfois d'en recevoir.
Dans cet esprit, c'est pour moi un vrai bonheur de souhaiter à chacun d'entre vous, amis lecteurs, une année 2004 qui soit riche d'espérances.
Que cette espérance de bonheur soit en particulier dédiée à tous ceux qui luttent pour devenir abstinents,
mais aussi à tous ceux qui les entourent, qui les aident et qui les aiment.
Le bonheur est partout et nulle part. Parfois, on le ressent fortement, parfois on oublie qu'il existe.
Chacun a connu et connaîtra des moments de bonheur, mais cela ne s'achète pas, ne se conserve pas, il faut lutter pour le trouver,
être ouvert aux autres pour l'éprouver. Car le bonheur, c'est un partage, une émotion que l'on ne peut garder pour soi.
Croyez-vous qu'un égoïste puisse être heureux ?
Lorsque l'on fait le bilan d'une année, on se dit que vraiment le malheur a frappé durement.
Il y a  eu des guerres, des conflits dans des pays plus ou moins lointains et plus ou moins médiatisés.
Des hommes, des femmes, des enfants ont été massacrés, blessés, déportés, affamés. Dans notre pays,
les catastrophes naturelles ne nous ont pas épargnés, que ce soit la canicule ou les inondations, beaucoup ont souffert.
D'autres ont été frappés à nouveau par la récession économique et le chômage. Alors, peut-on croire encore au bonheur ?
Oui, nous le devons car nous sommes tous, à la Croix Bleue, porteurs d'espérance et témoins que tout homme peut changer
Notre Croix Bleue vient de fêter en Franche Comté, sa terre d'origine française, ses cent vingt ans d'existence.
Elle a pu surmonter tous les bouleversements du XXe siècle en acceptant d'adapter ses moyens, ses connaissances,
sa pratique à l'évolution de son environnement. Ainsi notre association poursuit, sur le terrain et dans ses centres,
ses actions pour contacter, accompagner, témoigner, redonner l'espoir et faire entrevoir le bonheur que procure une vie sans alcool..
Le combat que nous menons contre la maladie alcoolique rencontre de nombreux obstacles qui évoluent au fil des ans.
Il est important que nous aussi nous sachions nous remettre en cause pour demeurer efficaces et ne jamais perdre espoir.
Les techniques de soins changent, mais nous savons tous que le bonheur pour un malade alcoolique ne peut se trouver que dans
une abstinence acceptée et non subie, dans une guérison du corps pour que la vie spirituelle puisse naître ou renaître.
Au sein de la Croix Bleue, nous avons l'habitude de dire, et de chanter que nous sommes faits pour le bonheur.
Alors, j'espère pouvoir en 2004 partager avec vous le bonheur de vivre notre congrès de juin prochain comme un 
témoignage de la force et de la pérennité du contenu de notre engagement, fil conducteur de nos réflexions actuelles,
ferment de tant de vies retrouvées et portées par… 0lé bonheur !
Un bonheur que je vous souhaite de vivre et de partager lors de ces fêtes de fin d'année.
Bernard Leday



Plaidoyers pour le Bonheur

Qu’est ce que le bonheur ? Un cadeau de la providence ou une quête existentielle ?
Une belle harmonie intérieure ou une simple pause entre deux pépins ?

 La venue en France en octobre 2003 du dalaï-lama a fait fleurir de nombreux  ouvrages, des documentaires et articles.
Quel ne fût le journal qui ne consacre pas un dossier sur ce thème ?. Ce n’est pourtant pas nouveau :
depuis vingt siècles la polémique ne cesse quant à la définition et l’application de cet état. 
Du « plaidoyer  pour le bonheur «  de Matthieu Ricard  à « l’euphorie perpétuelle » de Pascal Bruckner,
en écoutant l’avis de Roger Pol-Droit, philosophe (extrait de «  Dernières nouvelles des choses.
Une expérience philosophique »), il nous restera à nous faire une idée de notre bonheur
« Le désir du bonheur est essentiel à l’homme : il est le mobile de tous nos actes.
La chose au monde la plus vulnérable, la mieux entendue, la plus éclaircie,
la plus constante, c’est non seulement qu’on veut être heureux, mais qu’on ne veut être que cela.  
C’est à quoi nous force notre nature » a écrit Saint-Augustin 

 Les recettes de Matthieu Ricard, moine bouddhiste
ETRE HEUREUX OU RIEN : Il existe un impérieux devoir de bonheur :
il faut être heureux, comme il faut manger et boire pour vivre.
CHERCHER A L’INTERIEUR DE NOUS MEME : Si tous les hommes recherchent d’une façon ou d’une autre  à être heureux,
il y a loin de l’aspiration à la réalité. C’est là le drame des êtres vivants. Ils redoutent le malheur mais courent à lui.
Ils veulent le bonheur mais lui tournent le dos.  Les moyens mêmes de pallier la souffrance servent souvent à l’alimenter.
Comment cette tragique méprise peut-elle se produire ? Parce que nous ne savons pas nous y prendre.
Maladroitement nous recherchons le bonheur en dehors de nous même, alors qu’il est essentiellement un état intérieur.
S’il trouvait sa source au-dehors, il serait à jamais hors d’atteinte. Nos désirs sont sans limites et notre contrôle du monde,
restreint, temporaire et le plus souvent illusoire.
Cela suffit-il d’avoir des amis, une famille unie, de bonnes conditions de vie matérielle ?
Non ; on peut être malheureux alors qu’ « on a tout pour être heureux ».
Pourquoi consacrons-nous tant de temps à  améliorer notre confort, à rester en bonne forme physique,
et pourquoi accordons-nous si peu de temps à améliorer notre condition intérieure ?
N’est-ce-pas elle qui détermine la qualité de notre vie ? Quelle curieuse hésitation,
crainte ou inertie nous empêchent de regarder en nous-mêmes, d’essayer de comprendre la nature profonde de la joie, de la tristesse,
du désir et de la haine ? La peur de l’inconnu l’emporte et la peur d’explorer le monde intérieur s’arrête à la frontière de notre esprit.

            LE PIEGE DU PLAISIR : L’erreur la plus courante consiste à confondre plaisir et bonheur. Le plaisir, dit le proverbe hindou
« n’est que l’ombre du bonheur ». Il est directement causé par des stimuli agréables d’ordre sensoriel, esthétique ou intellectuel…
Le plaisir s’épuise à mesure qu’on en jouit, comme une chandelle qui se consume. Il est presque toujours lié à une action et entraîne
naturellement la lassitude, par le simple fait de sa répétition. C’est une expérience individuelle…
On peut éprouver du plaisir au détriment des autres, et il peut se conjuguer avec la méchanceté,
la violence, l’orgueil, l’avidité et d’autres états mentaux incompatibles avec un bonheur véritable.

A l’inverse du plaisir soukha naît de l’intérieur. Il n’est pas soumis aux circonstances et n’est pas lié à l’action.
C’est un « état d’être », un profond équilibre émotionnel issu d’une compréhension subtile du fonctionnement de l’esprit.
Tandis que les plaisirs ordinaires se produisent au contact d’objets agréables et prennent fin dès que cesse le contact,
soukha
est ressenti aussi longtemps que nous demeurons en harmonie avec notre nature profonde.
Il a pour composante naturelle l’altruisme, qui rayonne vers l’extérieur au lieu d’être centré sur soi. 

LA HAINE : On considère que répondre au mal par la fureur et la violence constitue une réaction humaine,
dictée par la souffrance et le besoin de justice. Pourtant une humanité véritable consiste à éviter de réagir par la haine.
La vengeance n’est pas n’est pas la solution la plus appropriée car à long terme elle est incapable de nous apporter une paix durable.
Comme le disait  Gandhi : « Si l’on pratique œil pour œil, dent pour dent, le monde entier sera bientôt aveugle et édenté ».
La compassion bouddhiste revient à souhaiter de tout son cœur que tous les êtres, sans distinction,
soient libérés de la souffrance et de ses causes, en particulier la haine. On peut ainsi aller plus loin et mû par l’amour altruiste,
désirer que tous les êtres, le criminel y compris, trouvent les causes du bonheur. 

Pascal Bruckner dénonce quant à lui, dans « L’euphorie perpétuelle » cette pathologie de la volonté qui saisit l’homme occidental
et qui lui fait croire que, maître et possesseur de la nature, il peut l’être aussi de son propre esprit, de ses  sentiments, de ses états d’âme,
de son bonheur. Qu’il peut à loisir convoquer ce dernier à son chevet comme on appelle un maître d’hôtel au restaurant ou le construire
brique par brique, tel un maçon, afin de l’arrimer définitivement à son existence.

Le mot d’ordre pour P.Bruckner serait : ne pas le rechercher, ne pas le refuser, ne pas le retenir.
L’accueillir quand il est là comme une grâce, un don de la vie sans vouloir s’en emparer à la façon d’un bien.
Admettre en nous une certaine dépossession et qu’il nous est impossible de tout contrôler.
Reconnaître que le bonheur est une valeur secondaire moins importante que la liberté, l’amour ou la sagesse, et que tout n’est pas dans tout.
Les marchands de béatitude nous vendent en réalité de la culpabilité : ils veulent nous faire honte de nos fragilités, de notre mal-être,
et nous somment d’en sortir tout de suite par un travail intérieur. Résultat : le bonheur, qui relève d’abord de l’insouciance,
devient un labeur perpétuel, une quasi-corvée que nos contemporains doivent entreprendre sous peine de déchoir.
A tous ces gourous de la sérénité il a envie de répondre : « laissez-nous vivre, notre misère est moins tragique que votre santé ». 

Roger Pol-Droit reconnaît que la question du bonheur paraît cruciale. Chacun d’entre nous peut se convaincre, assez facilement,
que cette réflexion doit engager la totalité de son existence. En parvenant à résoudre le problème philosophique du bonheur on saurait
enfin sur quoi guider sa vie, comment la réussir. L’ennui, c’est que ce problème est insoluble. Cent générations de philosophes et quelques bibliothèques immenses n’en ont pas vu le terme.

Une kyrielle de difficultés théoriques alimentent leur dissertation sans fin. Liste non exhaustive : le bonheur peut être à la fois unique et multiple,
discontinu et permanent, physique et spirituel, imaginaire et réel, affaire privée et horizon politique, fruit du hasard et conséquence du contrôle sur soi…
Si vous restez dans ce labyrinthe, rien ne bougera jamais. Pis : la question fait écran, à mon avis à ce qui importe vraiment.
Ecoutez plutôt Wittgenstein : «  La solution du problème que tu vois dans la vie, c’est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème ».
C’est bien la vie en effet et elle seule qui offre l’issue de secours. Le bonheur vécu est très loin du bonheur pensé. Quand on commence à en faire l’expérience, on voit s’éteindre les guirlandes mentales où clignotaient toutes ces interrogations.

On demandera évidemment : en quoi consiste l’expérience du bonheur ? Il la décrit pour sa part comme le fait de vivre des instants parfaits.
Ils sont comme autant de moments d’absolu. Peu importe leur point de départ, extase physique ou spirituelle ou évidence des joies simples.
Jamais ces instants ne se limitent à des plaisirs minuscules, car ils nous font réellement échapper au temps… pour un moment.
Le bonheur vécu est donc ce qui nous rend éternels, réellement, ici et maintenant. En ce sens il n’est jamais éphémère.
C’est tout simplement la vie sans question. 

Schopenhauer considère que le bonheur n’est rien de positif mais tout entier négatif et consiste uniquement dans la cessation
provisoire d’un manque. Le bonheur est donc illusoire, en raison de la nature insatiable du désir. De même que fumer une cigarette n’apaise,
dans l’instant, le désir du fumeur que pour l’attiser ensuite, le fait de mettre un terme à la souffrance, c'est-à-dire à l’insatisfaction,
revient à y substituer l’ennui, avant une souffrance supérieure. Le bonheur n’est que «  la cessation d’une douleur ou d’une privation et,
pour remplacer ces dernières, ce qui viendra sera infailliblement ou une peine nouvelle, ou bien quelque langueur, une attente sans objet, l’ennui .».
Pour sortir de ce cercle infernal c’est au désir lui-même qu’il faudrait renoncer ;
mais comment désirer ne plus désirer sans être le serpent qui se mord la queue ?

 

Réalisé à partir du journal Le Point n°1621