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Lorsqu'en
novembre de l'an passé, nous avons décidé des thèmes de nos Libérateurs
pour l'année 2002, nous ne pouvions savoir que ce "T'as bu... Tabou..." choisi pour ce présent numéro rejoindrait l'actualité politique, médicale et médiatique du moment. Notre ministre de la santé, lors d'un entretien télévisé il y a un mois environ, a en effet décidé de sortir l'alcool, et donc les boissons alcooliques, de l'environnement drogue dans lequel, depuis plusieurs années, il avait été positionné par le rapport Roques, rejoint en cela par la quasi totalité des acteurs médico-sociaux de l'alcoologie proches des personnes accompagnées. Cette déclaration qui fait de la dépendance à l'alcool une mode mérite bien le développement qui lui est consacré plus loin. Ce thème a permis par ailleurs que cette négation d'une réalité soit déclinée par trois amis. Ce déni sera donc évoqué successivement avec le regard posé sur la personne alcoolique, sur son entourage immédiat mais aussi sur la société dans laquelle nous évoluons. Vous pourrez constater, chers amis, que conformément à l'engagement pris à notre précédent numéro, nous avons laissé une large place à la vie de notre association au cours de cette année qui s'achève, dont nous parlerons très bientôt au passé et qui, pour notre Croix Bleue, a été riche de décisions et d'événements. 2002 a été l'année d'un congrès national retrouvé, réussi en dépit des petits accrocs habituels et dont le succès, dans un environnement humain chaleureux et dans un cadre que la Croix Bleue avait choisi de s'offrir, nous fait attendre avec quelques impatiences la prochaine rencontre - véritable retour aux sources - en 2004 dans le pays de Montbéliard. 2002 a été l'année d'une reconnaissance puisque l'autorité de tutelle de la région Nord nous a demandé de mettre à profit notre compétence dans l'animation des centres de postcure pour créer, à proximité de la Presqu'Île à Saint-Omer, "l'Archipel" : un centre pour hommes qui devrait ouvrir courant 2004. 2002 a été l'année de la réorganisation du siège avec l'arrivée d'un directeur - pas vraiment un inconnu - qui devra rationaliser, dynamiser, animer mais aussi être l'intermédiaire techniquement compétent entre nos directeurs de centres et le Conseil d'administration. Bon courage à lui ! 2002 a été l'année qui a vu le démarrage d'un certain style de formation au bénéfice de membres actifs accompagnant et volontaires, formule qui a pour vocation moins de plaquer un savoir que de remettre en cause nos façons d'être et de faire. Il s'agit là d'un programme aussi indispensable qu'ambitieux. 2002 aura vu enfin, après quelques années de débats animés, l'approbation par le Conseil d'état de nos nouveaux statuts qui devrait être suivie sous peu de celle de notre règlement intérieur. Ces textes constituent une véritable bouffée d'oxygène dans nos dires et nos faires dans le cadre de la tolérance et le respect des convictions de chacun. Ils étaient attendus et leur esprit doit permettre quelques audaces que notre action requiert. Je n'oublie pas que nous entrons dans la période des vœux. Je saisis donc l'opportunité qui m'est donnée pour souhaiter en mon nom personnel et en celui du Conseil d'administration, une bonne et heureuse année à tous nos lecteurs et à leurs proches. Membres ou non de l'association, libérés ou non de l'alcool ; qu'ils soient persuadés de notre profond désir de voir chacun trouver, aujourd'hui et demain, un vécu meilleur dans l'amour et l'espérance.
Bernard Leday |
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Le Déni Le déni peut se définir comme le
refus de reconnaître la vérité.
Docteur Hammann |
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L'alcool tabou social ? A ssurément, oui, si l'on regarde d'abord la question par le prisme des chiffres(ceux cités ci-dessous proviennent des travaux de l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme). La consommation est exprimée en litres d'alcool pur par habitant et par pays. Sur un échantillon de trente pays, la France venait, en 1999, au 4ème rang avec 10,7 litres par an et par habitant. Certes la consommation recule ; mais qui sait, au passage, que comme pour le chômage la façon de compter a changé en excluant les spiritueux ?! Surtout, ce niveau de consommation génère un ensemble de conséquences sociales et économiques, certes difficiles à évaluer, mais qu'on ne se soucie guère d'expliciter. On estime à 5 millions le nombre de personnes ayant des difficultés médicales, psychologiques et sociales liées à leur consommation d'alcool. 13 % des patients hospitalisés et 7 % de ceux consultant en psychiatrie le seraient à cause de l'alcool. L'alcool est responsable de 7 % des décès des hommes, 2 % de ceux des femmes et de 16 000 cancers par an. Comment ne pas parler de tabou social face à un phénomène ayant de telles conséquences sans que soient déclenchées des actions à la mesure des problèmes ? On peut aussi raisonner en prenant la question sous l'angle économique. D'abord il est très difficile de se procurer des chiffres sur l'économie de l'alcool : combien de personnes en vivent ? Quels chiffres d'affaire, quels profits ? Curieux tout de même que l'ANPA n'en fasse pas un chapitre de son document. Par contre, ce que l'on sait, c'est que la fiscalité directe (hors TVA) attachée aux boissons alcoolisées rapporte à l'Etat environ 16 milliards de francs, tandis que de l'autre côté le coût de l'alcoolisme est évalué à 115 milliards de francs au plan social, soit 1,5 % du produit intérieur brut et près de 2 000 francs (304,90 euros) par Français. 65 milliards de francs représenteraient le coût des traitements et médicaments soit 10 % du total des dépenses de consommation médicale. L'alcool, tabou social, parce qu'il touche un grand nombre de personnes et qu'on le sait ; tabou social, parce qu'il a un coût considérable et qu'on le sait, et qu'on le tait ou que,globalement, on s'en accommode. On ne peut en effet sérieusement considérer que : - les mentions obligatoires sur les risques d'une consommation excessive ici, - les interdictions de consommer dans certains lieux (de plus en plus remises en cause), - quelques spots télé ou émissions font une politique de prévention et de guérison (indispensable compte tenu de l'état des lieux) à la hauteur de l'enjeu... Surtout quand on voit que : - dans le même temps, on ferme des services entiers dans les hôpitaux, - les subventions aux acteurs agissant réellement diminuent, - les médecins, infirmières, reçoivent toujours aussi peu de formation sur ce sujet. Probablement pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut pour le caractériser et le définir : - Des intérêts économiques forts, des pressions, un lobbying puissant essayant de faire croire que seuls ceux ayant des travers psychologiques (des défauts de conception, dira-t-on, un jour, dans le monde du clonage) sont exposés à devenir dépendants. - Une démission du politique : le vote du terroir a la réputation de faire et défaire les majorités de toutes les couleurs... - Et puis des conventions sociales fortes, bien établies : consommer de l'alcool fait partie des usages, ponctue les célébrations de toute nature, participe à la joie, à la fête... Ne pas consommer d'alcool, c'est en quelque sorte se mettre à l'écart, se tenir en marge, ne pas adhérer à ce qui tient lieu aujourd'hui pour partie de lien social. Mais l'alcool tabou social renvoie aussi aux silences dénoncés plus haut pour chercher les véritables causes ; des silences nourris de conformisme de la pensée unique que les médias nous instillent à longueur d'année pour faire de nous des avaleurs d'images, toujours en état de saturation, proches de l'apoplexie qui évite de réfléchir et de se révolter. Car l'alcool tabou social, c'est aussi la seule réponse pour certains des consommateurs excessifs devenus dépendants ; la seule réponse qu'ils ont pu trouver (pour le moment) face aux difficultés de tous ordres, face à toutes ces barrières qui bafouent l'égalité des droits et des chances. Et nous voilà revenus aux causes profondes communes qui sont au cœur de nombreux tabous sociaux : les comportements hors normes (qui permettent de vivre en paix et avec un espoir raisonnable d'épanouissement) se nourrissent de ce qu'on n'a pas reçu, de portes fermées, de murs infranchissables, de devoirs refusés au nom des droits non ouverts et de cet enfermement au milieu d'un supermarché du superflu où, pour faire comme les autres, tous les moyens sont bons. J'exagère bien sûr... Vous n'êtes pas du tout d'accord ? Tant mieux. Briser un tabou social, à soi tout seul, c'est probablement impossible ; d'où ce sentiment parfois d'écrasement face aux misères du monde. Mais dans le cheminement mystérieux qui conduit de la dépendance à la rupture, à la construction d'une vie sans alcool, il y a sans doute une étape qui nous conduit de l'individuel au collectif : je veux dire par là une démarche où, après avoir mis (remis) en place les fondamentaux qui règlent la vie de tous les jours (travail, logement, lien à autrui), il y a nécessité d'embrasser un champ plus vaste, de participer en citoyen responsable à l'évolution de la société. Membre de la Croix Bleue cela devrait aussi vouloir dire "briseur de tabous sociaux" : l'alcool d'abord, mais aussi d'autres tabous dont, je crois, les causes s'enracinent aux mêmes sources. Alors, cet article vous a plu ? Retrouvons-nous dans telle lutte prochaine... Cet article vous a déplu ? Alors faites de votre contestation la source d'autres luttes. L'essentiel est de s'aider à réfléchir pour agir : seule façon de briser les tabous sociaux, et pour cela il faut être nombreux !! Bernard David |
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-Témoignage - Imprégnée d'une culture, de tabous, de secrets de famille, aveuglée par
les images véhiculées autour de la Catherine S.
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