L’hippocampe, cible privilégiée du « binge drinking »

L’hippocampe, cible privilégiée du « binge drinking ».

La neurotoxicité de l’éthanol est probablement responsable des dommages fonctionnels les plus fréquents induits par la consommation excessive d’alcool. La nature des lésions cérébrales induites par l’éthanol ainsi que les mécanismes de cette toxicité restent cependant très mal connus. Cette lacune provient, d’une part, de la difficulté à obtenir des tissus humains informatifs et, d’autre part, de l’absence de certitude quant à la possibilité d’extrapoler les résultats obtenus à partir de modèles murins.
Pour avancer sur la question, Taffe et al. ont étudié l’impact d’une consommation d’alcool importante sur l’hippocampe de singes rhésus adolescents. Pourquoi l’hippocampe ? Parce qu’il s’agit d’une des régions du cerveau où la production de nouveaux neurones (neurogenèse) est la plus intense après la naissance. On sait maintenant que cette neurogenèse reste active même à l’âge adulte et des modèles murins ont montré sa diminution chez les animaux consommant de l’alcool. De plus, l’hippocampe est impliqué dans des fonctions cérébrales telles que la mémorisation et l’apprentissage qui sont fréquemment altérées chez les buveurs excessifs, l’altération de ces fonctions pouvant, elle-même, entretenir les comportements d’alcoolisation compulsive (avec donc la possibilité d’une sorte de cercle vicieux). Pourquoi chez les singes ? Leur parenté avec l’homme est bien connue. Les primates non-humains ont un développement cérébral proche de celui des humains et, comme eux, ne se font pas prier pour consommer de l’alcool en grande quantité. (1) Pourquoi adolescents ? Parce qu’il s’agit, d’une part, d’une période où la neurogenèse est particulièrement intense et donc propice à la mise en évidence la neurotoxicité de l’alcool. D’autre part, parce que la question des conséquences cérébrales à long terme des alcoolisations adolescentes est cruciale à l’heure où le « binge drinking » fait figure de problème majeur de santé publique.
Sept singes âgés de 4 à 5 ans ont été inclus dans cette étude. Après une phase d’induction de 40 jours pendant laquelle tous les singes avaient accès à des doses croissantes d’éthanol (jusqu’à 2 g/kg/j), deux groupes ont été constitués pour la phase de maintenance d’une durée de 11 mois : les 4 singes du premier groupe avaient accès à de très fortes doses d’éthanol (3 g/kg) pendant 1 heure tous les jours tandis que les 3 derniers singes n’avaient accès qu’à des boissons non alcoolisées (groupe contrôle). Après cette phase de maintenance puis deux mois et demi d’abstinence, tous les singes ont été euthanasiés.
L’analyse de leurs hippocampes a mis alors en évidence une nette diminution de la prolifération cellulaire et de la quantité de neurone immature chez les singes du groupe alcool. On pouvait également constater chez ces singes une dégénérescence neuronale qui n’était pas présente dans le groupe contrôle. Les auteurs ont pu également caractériser finement quels étaient les types de précurseurs neuronaux affectés par l’alcool. Ces analyses complémentaires suggéraient qu’un déficit de différentiation en neurones immatures était vraisemblablement responsable de la diminution de la neurogenèse chez les animaux exposés à l’alcool.
Les résultats de cette étude semblent donc particulièrement inquiétants puisque, dans un modèle proche de l’homme, il existe encore des altérations importantes dans le cerveau des adolescents à plus de deux mois de l’arrêt de toute intoxication alcoolique. Cela veut-il dire que le « binge drinking » est susceptible d’avoir des conséquences délétères à long terme ? Si on peut légitimement le craindre, il faut éviter de tomber dans un catastrophisme excessif. Le modèle d’alcoolisation choisi par Jaffe et al., à savoir la consommation de 2 à 3 g/kg d’éthanol (l’équivalent de 2 à 3 bouteilles de vin pour une personne de 70 kg) bus quotidiennement en moins d’une heure pendant 11 mois, est un reflet très exagéré de ce qui peut être observé dans la « vraie vie ».
Si les résultats de cette étude sont importants, c’est peut-être plus parce qu’ils offrent des pistes pour essayer de décortiquer les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans la neurotoxicité de l’éthanol. Les données de Taffe et al. devraient orienter les futurs travaux vers les progéniteurs neuronaux qui semblent avoir une sensibilité particulière à l’alcool. Voilà qui cadre bien avec plusieurs constations cliniques bien connues : l’existence du syndrome d’alcoolisation fœtale avait déjà suggéré que les dégâts induits par l’alcool étaient plus importants sur un cerveau en développement ; on sait aussi qu’une des principales conséquences fonctionnelles de l’abus d’alcool sur les fonctions supérieures concerne la mémoire, processus qui sollicite, même chez l’adulte, la neurogenèse ; enfin si l’alcool agit plus en inhibant la production de nouveaux neurones qu’en lésant ceux qui existent déjà cela expliquerait qu’il ait été jusqu’à présent si difficile de caractériser des lésions cérébrales spécifiques de l’intoxication alcoolique.

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20534463

(1)L’utilisation dans la recherche biomédicale d’animaux dont le comportement est parfois si proche de l’homme pose cependant des problèmes éthiques épineux qu’il est difficile de ne pas mentionner.


Voir en ligne : Alcool Addiction INSERM