Intoxications alcooliques répétées et chroniques pendant l’adolescence

L’hippocampe est une structure cérébrale qui joue un rôle majeur dans le stockage des informations. Il est le siège de modifications à long terme de l’efficacité de transmission entre les neurones constituant les réseaux. Il joue aussi un rôle dans l’addiction, et la stimulation électrique d’une région hippocampique (subiculum ventral) provoque une rechute chez des rats cocaïno-dépendants en sevrage. Les données récentes de la littérature indiquent que les processus d’apprentissage et de mémorisation sont sous-tendus à la fois par des phénomènes de plasticité synaptique et morphologique, et par la génération de nouveaux neurones. Ces nouveaux neurones produits à partir de cellules souches pourraient jouer un rôle important dans de nombreuses perturbations ou pathologies. Ainsi, la neurogenèse hippocampique est réduite après un stress chronique, dans l’anxiété, la dépression et aussi dans l’addiction. On sait déjà que les jeunes consommateurs d’alcool présentent un volume hippocampique réduit (10 %) et qu’ils présentent aussi un déficit d’activation de cette structure cérébrale lors de l’exécution de différentes tâches cognitives.
Dans la présente étude, les auteurs se sont intéressés aux effets à long terme des intoxications alcooliques répétées et chroniques sur la neurogenèse hippocampique chez sept macaques adolescents (pesant 7,7 kg au début de l’expérience). Les singes adolescents ont eu accès pendant 11 mois à une solution de Tang alcoolisée (concentration d’alcool augmentée progressivement de 1 % à 6 %) et ont consommé en moyenne 1,74 g d’alcool pur par kg de poids corporel (l’équivalent de 1,6 verres ou unités, 16 g d’alcool) pendant des sessions d’une heure, atteignant ainsi des alcoolémies de 1 à 3 g/l. L’exposition à l’alcool a été réalisée durant cinq jours par semaine. Les études ont ensuite été réalisées deux mois après la fin de l’exposition à l’alcool.
Les résultats montrent que l’alcoolisation chronique et intermittente à l’adolescence diminue de manière drastique et persistante la prolifération et la neurogenèse hippocampique. Cette alcoolisation a augmenté la dégénérescence neuronale, indiquant ainsi une diminution du turnover de cellules neuronales qui n’est pas dû à des phénomènes apoptotiques. Plus précisément, les résultats indiquent que l’alcoolisation a diminué significativement le nombre d’un certain type de cellules pro-génitrices se divisant activement dans la zone sous-granulaire du gyrus denté de l’hippocampe, à savoir : les types 1 (de type glie radiaire), 2a (pré-neuronal) et 2b (intermédiaire), sans affecter le type 3 (neuronal précoce). La neurogenèse correspond ici à l’évolution de cellules de type glie radiaire en cellules pro-génitrices qui prolifèrent et passent du type 2a, 2b puis 3 pour donner ensuite des neurones immatures. L’alcoolisation perturbe donc les premières étapes en interférant avec la division et la migration des cellules pro-génitrices pré-neuronales avec un effet prépondérant sur la différenciation et le nombre de neurones immatures. Lorsque le nombre total de cellules granulaires hippocampiques est comptabilisé, les auteurs rapportent que l’alcoolisation n’a pas modifié ce nombre et suggèrent que cette absence d’effet serait due à plusieurs facteurs, comme le délai du sacrifice après la dernière consommation d’alcool, la modalité de consommation d’alcool, le genre et l’âge des animaux. Ils suggèrent également que cette atteinte de la neurogenèse pourrait participer à la perte neuronale à l’âge adulte.
Au total, l’exposition chronique et intermittente à l’alcool pendant l’adolescence diminue la neurogenèse hippocampique en affectant des types distincts de cellules pro-génitrices se divisant activement pendant leurs premières phases du développement neuronal. Cette atteinte durable de la neurogenèse hippocampique durant l’adolescence pourrait expliquer certains effets comportementaux. La consommation excessive d’alcool induit en effet des déficits cognitifs concernant des tâches qui dépendent au moins en partie des réseaux neuronaux hippocampiques, incluant notamment l’impulsivité, des déficits d’apprentissage spatial, la mémoire à court terme et les fonctions exécutives. Les auteurs concluent que cette atteinte de la neurogenèse hippocampique durant la période critique de l’adolescence pourrait participer aux facteurs de vulnérabilité à développer une alcoolo-dépendance.
Les résultats de la présente étude confirment que l’exposition chronique et intermittente à l’alcool a un impact important sur l’apparition de nouveaux neurones dans l’hippocampe des macaques adolescents. Cependant, de nombreuses questions demeurent. Les mêmes effets seraient-ils observés chez des singes adulltes ? Quel type d’exposition à l’alcool serait le plus réaliste lorsque l’on cherche à mimer le binge drinking chez les jeunes ? Cette dernière question est essentielle car on voit bien ici que les animaux ont consommé, certes volontairement, de l’alcool tous les jours de la semaine (sauf le week-end) et cela s’apparente donc plus à une alcoolisation quotidienne et chronique qu’à du binge drinking. Il reste à engager une vraie réflexion sur ce qu’est le binge drinking pour développer rapidement des modèles animaux pertinents.

Pr M. Naassila
mickael.naassila@u-picardie.fr
Groupe de Recherche sur l’Alcool et les Pharmacodépendances (GRAP), INSERM ERI24, Amiens

Voir en ligne : les cellules précurseurs des neurones dans l’hippocampe trinquent