Depuis plus de 120 ans, l'accompagnement de la personne alcoolique a permis à la Croix Bleue de mettre en place une démarche construite à partir de l'observation et de l'expérience. Au fil des ans cette démarche s'adapte aux nouvelles données du monde de l'alcoologie et aux situations nouvelles comme celles de l'évolution des Centres. Ces derniers ont leurs particularités dues à leur implantation, aux publics accueillis et aux qualités particulières de chacune des équipes les animant. Il y a un tronc commun qui, durant le séjour de la postcure, reprend l'essentiel de l'approche de la personne dépendante, telle que peut le percevoir l'ensemble du mouvement.

Dans les lignes qui suivent, nous allons transcrire les caractéristiques de cette démarche appliquée à nos Centres.

LA RENCONTRE
Le dossier : la plupart du temps la personne alcoolique a besoin d'être interpellée. Elle n'a, ni la lucidité, ni la force pour faire appel et ceux qui l'assistent entament des démarches pour elle et parlent à sa place. Dans un premier temps c'est au travers du dossier souvent constitué par un tiers que des membres de l'équipe du Centre vont à sa rencontre et engagent, avant même l'admission, des échanges quant à la motivation et la formulation de la demande. L'accueil peut être ainsi préparé en fonction de chaque situation.

L' accueil : il prolonge la démarche qui consiste à aller vers la personne. C'est aller la chercher à la gare, valider son admission administrative au secrétariat, mettre à sa disposition un soignant qui sera à ses côtés durant le temps de son installation dans les différents lieux du Centre qu'il découvre au fur et à mesure du déroulement de la visite ainsi individualisée. C'est au cours de cette-ci que lui seront présentées les personnes rencontrées au fur et à mesure, aussi bien les autres résidents que les membres de l'équipe. Ce même soignant aura à cœur de noter les premières réactions souvent empreintes d'angoisse, les premiers étonnements comme celui de ne pas se voir fouiller systématiquement ses affaires ou subir un Alcootest. Enfin, son traitement médicamenteux sera vérifié dans l'attente du lendemain pour la visite médicale.

L'intégration : après la présentation des uns et des autres au gré de la visite où le nouvel arrivant a pu voir chacun dans sa fonction et repérer les lieux, il se présente brièvement au groupe déclinant son NOM, son Prénom et le lieu d'où il vient. L'alcoolique souffre souvent de "n'être personne". Ici il est reconnu par tous.

LE CONTRAT THERAPEUTIQUE
Travailler la demande : Avant de passer au contrat thérapeutique, un temps est pris pour travailler la demande.

Qui a demandé le séjour? Comment le nouvel arrivant, formule-t-il sa demande? Avec quels mots? Les premiers entretiens, à différents niveaux (médical, social, psychologique, éducatif...) permettent dès le début de son séjour, de s'interroger sur son désir (en a-t-il un?) et de chercher sa place dans le processus thérapeutique qui s'amorce. La diversité des intervenants, représentant des disciplines différentes, est une richesse pour le résident qui voit ainsi se dessiner les zones d'ombre qu'il aura à travailler.

Définir les objectifs à atteindre : la manière dont est posée la demande à partir de la lettre de motivation et dans les entretiens, permet de préciser les objectifs à atteindre en les articulant à chaque situation. Ils sont de deux sortes :

- L'engagement de ne plus consommer d'alcool pendant le séjour et durant les 90 jours consécutifs : telle est l'expérience qui est proposée. Reconsommer pendant le séjour modifierait la pertinence de cette expérience.

- L'engagement d'un travail sur soi en reconsidérant certaines habitudes, certaines représentations, certaines valeurs.

Poser un cadre : pour atteindre ces objectifs, un cadre est posé. Il fixe les limites de ce qui est possible et de ce qui ne l'est pas, pour le résident comme pour l'institution. A travers le cadre, les droits et les devoirs des deux parties sont définis ; chacun sait ainsi ce qu'il peut attendre de l'autre.

C'est à l'intérieur de ce cadre qu'auront lieu les processus :

- d'identification au groupe. Le résident est ainsi sécurisé. Il se sent moins étranger aux autres parce qu'il a le sentiment qu'il n'est plus le seul à vivre une telle situation. Il relativise sa culpabilité puisque dans ce lieu il est "comme tout le monde".

- de singularité. Cette identification au groupe permet de franchir une deuxième étape, celle de la singularité. Chaque être est différent ; à chacun son histoire particulière. Revisiter cette histoire permet que se reconstruise l'identité perdue, voire jamais précisée.

Ce contrat est définitivement validé au bout de quinze jours après que les deux parties l'aient volontairement accepté en y annexant ce qui peut être spécifique à telle ou telle situation particulière.

Dans ce contrat, les termes de "patient" ou de "malade alcoolique" ne sont pas utilisés au profit de ceux de "résident" ou "pensionnaire" pour souligner que chaque être est acteur de son rétablissement - à savoir de sa vie sans alcool, et pour briser cet enchaînement d'assistanat dans lequel la personne alcoolique s'est le plus souvent enfermée.


LE PROGRAMME DE SOINS ET LES MOYENS

Ces moyens permettent de mettre en œuvre le contrat thérapeutique. Le séjour d’une durée de 90 jours se divise en trois parties autour d’un contenu propre à chaque Centre. Ces moyens se déclinent en deux modes d’accompagnements complémentaires.

- L'accompagnement individuel. Il se fait à plusieurs niveaux :

Médical : chaque résident est reçu en consultation au moins deux fois pendant son séjour (entrée, sortie) et sur sa demande.

Psychologique : tout résident peut demander un suivi en entretien individuel au psychologue ou au psychiatre. L'équipe peut aussi le lui proposer.

Social : mise en place des droits de chaque résident ; aide à la recherche d'un hébergement et d'un emploi à partir de la deuxième partie du séjour.

Éducatif : chaque membre de l'équipe d'accompagnement est témoin des faits, des gestes et des paroles du résident. Il sert de miroir, parfois de butée. Sa présence structure le dire et le faire de l'autre.

Retour au domicile : au début de son troisième mois, chaque résident est invité à retourner chez lui pour une durée variable selon les situations. A chaque retour un bilan est fait sur le déroulement de la sortie et sur ce qu'il a pu ressentir. Cette analyse permet de préciser les objectifs qu'il s'est fixés pour la suite du séjour.

- L'accompagnement collectif: Il se fait à partir du vécu du groupe et de la dynamique de vie quotidienne. Il permet de travailler à partir des relations qui s'instaurent entre les uns et les autres dans les activités comme dans les moments informels. Ces activités suivantes se retrouvent à peu près dans tous les Centres :

les Ateliers : ils sont de plusieurs sortes :

- les ateliers découvertes : ils sollicitent les cinq sens à travers des activités de recherche.

- les ateliers d'expressions : expression corporelle, théâtre, travail en piscine… mais aussi atelier d'écriture, chants...

- les ateliers de créativités : ils sollicitent la part créatrice de chacun. Ils touchent à l'inventivité et à l'art : terre, sculpture, peinture.

- les ateliers de fabrications : ils permettent des travaux de menuiserie et d'ébénisterie, des travaux de ferronnerie et chaudronnerie, des travaux du cuir et sur tissus, des travaux de jardin. C'est autour de l'objet fabriqué que bien souvent ont lieu des échanges qui ne se font pas dans les groupes prévus à cet effet.

Les groupes de paroles : ils peuvent avoi r des fonctionnements différents :

- Le thérapeute intervient peu, l'écoute y est privilégiée y compris le silence.

- L'animateur se positionne comme formateur ; le groupe réagit à ses différentes interventions.

- Les carrefours par petits groupes où les échanges se font à partir d'un thème et par un jeu de questions/réponses.

- Le groupe avec intervenant, pour des informations médicales par exemple.

Activités sportives : on retrouve à peu près dans tous les centres : la marche, la gymnastique, le volley, le hand, le VTT, la piscine… Ces activités peuvent être organisées ou laissées à l'initiative de chacun.

 

Activités culturelles ou de loisirs : parfois organisées, souvent encouragées, les activités culturelles correspondent au souci d'éveiller chez la personne alcoolique, souvent repliée sur elle-même, la curiosité et l'intérêt pour les choses belles, naturelles ou créées. Ainsi, une énergie qui s'investissait entièrement dans "la chose alcoolique" va pouvoir trouver de nouveaux chemins.

Découvrir qu'il est possible de faire la fête sans alcool fait aussi partie des projets des Centres. C'est ainsi que deux ou trois fêtes par an, au minimum, sont organisées dans chaque Centre.

Préparation à la sortie : le séjour est ponctué de bilans intermédiaires à tous les niveaux. Le dernier bilan, intégrant l'ensemble du travail fait, permet de mesurer l'écart entre les objectifs posés et les objectifs réalisés. Cet écart permet de définir ce qui pour chaque situation devra être mis en place pour l'après postcure, celle-ci étant une expérience et un départ pour une vie sans alcool. Il est important que le séjour soit vécu comme une rampe de lancement, comme une dynamique de vie, où la répétition n'aura plus sa place et où cette postcure sera bien la dernière.

Liaison avec l'extérieur : quels sont les accueils, les soutiens, les référents pour cette vie sans alcool? La préparation à la sortie permet de poser les jalons qui permettront la continuité avec le vécu du Centre.

A la sortie, le bilan médical est transmis à la personne qui peut, si elle le souhaite le remettre au médecin assurant le suivi (généraliste, CCAA...). Un bilan individuel est effectué par le pensionnaire lui-même, qui décide de l’adresser ou pas, à telle ou telle personne de son environnement, en fonction des relations établies avec les acteurs qui l’accompagnaient jusqu’alors et qui l’accompagneront dans ses projets.

LA SORTIE
Possibilité de lien avec le Centre
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Le passage : nombreux sont les résidents qui considèrent le Centre comme le lieu où a démarré leur nouvelle vie. Certains vont jusqu'à le considérer comme leur famille. Une rupture totale et immédiate leur serait intolérable. Ils doivent faire l'apprentissage de la présence/absence, les représentations de leur séjour doivent se mettre en place. C'est pourquoi les Centres proposent la possibilité de venir passer un ou deux jours avec la condition que la demande soit formulée à l'avance et que le séjour soit pris en charge par eux-mêmes.

Le journal : Un journal est envoyé deux ou trois fois par an aux anciens résidents. Il donne des nouvelles du Centre et propose une réflexion simple sur les questions de l'alcoolisme. D'autres rubriques expriment le vécu des Centres. Peuvent y prendre place des textes, des poèmes, des chansons, des témoignages, des recettes de cuisine...

La fête : A chaque fête les anciens résidents sont invités à participer. Ils peuvent le faire comme acteurs en s'engageant dans la préparation ou dans la mise en place de spectacles.

Chaque année, ces temps de fêtes sont des temps forts pour les anciens résidents comme pour ceux qui suivent la postcure et l’ensemble de l’équipe thérapeutique.